La gloire et la tragédie de Potosi ont été en grande partie liées à ce qui s'est passé dans la mine située à près de 5.000 mètres d'altitude. Avec l'extrême brutalité du travail forcé, Potosi, perçue comme une "mine d'or" par les colons, a concentré la force de travail à un niveau sans précédent pour maximiser l'accumulation de richesse, sans équivalent dans l'histoire du monde.
POTOSI (Bolivie), 3 mars (Xinhua) -- "Le sang de mon corps semble pleurer ma patrie", a marmonné pour lui-même le mineur à la retraite Julio Reyes.
La ville natale de M. Reyes, Potosi, l'une des villes les plus hautes du monde avec une altitude moyenne de plus de 4.000 mètres, a un passé à la fois glorieux et tragique.
"C'est la première fois que je raconte à des étrangers mon histoire et celle de ma ville natale, en espérant que le monde ne méprisera pas ma patrie à cause de l'histoire", a confié à Xinhua cet homme de 67 ans.
FERS A CHEVAL EN ARGENT
Une vaste mine d'argent a été découverte en 1545 à Potosi, suscitant la frénésie des colons espagnols locaux. On estime qu'à son apogée, la production d'argent représentait environ la moitié de la production mondiale.
En l'espace de quelques décennies, Potosi, qui "n'était rien d'autre que des montagnes arides avec des lamas", s'est transformée en une ville animée de plus de 100.000 habitants, d'une ampleur comparable à celle de Londres et de Paris à la même époque.
L'écrivain uruguayen Eduardo Galeano a décrit le luxe extrême de la ville dans son ouvrage "Les veines ouvertes de l'Amérique latine". Selon lui, "même les fers à cheval étaient en argent".
Cependant, cette richesse montagneuse n'appartenait qu'aux colons, tandis que les populations indigènes qui habitaient la terre depuis des générations subissaient les conséquences désastreuses de son exploitation.
Près de 300 ans plus tard, lorsque les colons sont partis, il ne restait que peu d'argent dans les mines.
Aujourd'hui, Potosi est l'une des villes les moins développées d'Amérique du Sud. Le processus historique de raffinage de l'argent, qui utilisait du mercure, a généré d'importants gaz toxiques et des eaux usées, rendant de vastes zones stériles.
AUTREFOIS LA PLUS RICHE, AUJOURD'HUI LA PLUS PAUVRE
La gloire et la tragédie de Potosi ont été en grande partie liées à ce qui s'est passé dans la mine située à près de 5.000 mètres d'altitude.
La montagne a été surnommée "Cerro Rico" (montagne riche) en raison de sa richesse en argent. Ses pentes rouges, marquées d'innombrables traces blanches, ressemblent aux rides du visage de M. Reyes. Ces cicatrices indélébiles témoignent d'une histoire marquée par l'exploitation et le pillage de l'Occident.
"Pour les indigènes de l'époque, cet endroit était comme la 'bouche de l'enfer'", a déclaré aux journalistes Jhonny Montes, un guide local, en entrant dans la zone minière. Aujourd'hui encore, les mineurs de Potosi ont une espérance de vie moyenne d'environ 40 ans.
Dans la mine, les journalistes, comme le faisait souvent M. Reyes, ont revêtu des casques de mineurs, des bottes de pluie et des vêtements de travail. Munis de batteries pour alimenter leurs lampes frontales, ils sont descendus au niveau de transport de la mine d'une profondeur de 40 mètres, le plus proche de la surface du sol parmi les six niveaux de travail.
Dans les passages peu éclairés et étroits du puits de mine, les journalistes ont dû baisser la tête, car au moindre faux pas, leurs casques risquaient de percuter la roche. En chemin, ils ont rencontré deux jeunes mineurs qui s'efforçaient de faire avancer un chariot minier à un angle d'à peine plus de 30 degrés avec la terre sous leurs pieds.
Une vieille dame de Potosi, interviewée par M. Galeano il y a quelques années, a déploré que cette ville avait offert le plus au monde autrefois, mais qu'elle possédait aujourd'hui le moins.
"L'exploitation insensée des ressources humaines et matérielles a conduit au paradoxe suivant : autrefois la plus riche, aujourd'hui la plus pauvre", écrit M. Galeano. "Potosi reste à ce jour une plaie sanglante laissée par le système colonial dans les Amériques, un testament d'accusation."
LA MORT ETAIT LE SEUL REPIT
Un document datant du milieu du XVIIIe siècle et provenant de l'unité des archives historiques de la Monnaie nationale de Bolivie à Potosi décrit les tâches que les populations indigènes étaient contraintes d'entreprendre dans le cadre du "système de travail mita", une pratique de travail forcé désormais inscrite au programme "Mémoire du monde" de l'UNESCO.
Le système de la "mita", imposé par les colons espagnols, exigeait que les populations indigènes fournissent chaque année une certaine quantité de travail aux autorités coloniales. Ce travail consistait principalement en l'exploitation minière et d'autres tâches connexes, avec des horaires de travail pouvant durer jusqu'à 18 heures par jour dans des conditions extrêmement difficiles. Pour de nombreuses personnes, la mort était le seul répit.
Avec l'extrême brutalité du travail forcé, Potosi, perçue comme une "mine d'or" par les colons, a concentré la force de travail à un niveau sans précédent pour maximiser l'accumulation de richesse, sans équivalent dans l'histoire du monde.
Ce qui a été obtenu au prix d'innombrables vies indigènes a été un luxe extravagant pour les colons.
L'argent de Potosi est devenu une source de financement essentielle pour les guerres de longue durée menées par la monarchie espagnole. L'empire espagnol du XVIe siècle, sous les règnes de Charles V et de Philippe II, a été qualifié "d'âge d'or", ses colonies s'étendant sur toute la planète.
L'expression "l'empire sur lequel le soleil ne se couche jamais" a été utilisée pour l'empire espagnol sous Philippe II et ses successeurs, lorsqu'il a atteint une taille territoriale mondiale, deux siècles avant que l'empire britannique ne s'enorgueillisse de cette épithète.
Considérant l'histoire à travers le prisme de l'Amérique latine, M. Galeano a souligné que "l'Europe a grandement dépendu de l'exploitation des populations indigènes d'Amérique pour alimenter le capitalisme moderne. Les souffrances endurées par les communautés indigènes, d'hier à aujourd'hui, illustrent la tragédie plus large de l'Amérique latine".
LE FEU DE LA REVOLUTION NE S'EST JAMAIS ETEINT
A la fin du XVIIIe siècle, alors que la guerre d'indépendance américaine et la Révolution française provoquaient des vagues de changement, les peuples d'Amérique latine ont commencé à s'éveiller.
Le 16 juillet 1809, une révolution a éclaté à La Paz, allumant le feu qui a brûlé l'ancien système colonial.
Malgré le siège de l'armée coloniale espagnole, les flammes de la révolution ne se sont jamais éteintes. Le 6 août 1825, la Bolivie déclare officiellement son indépendance. En octobre, le "libérateur" Simon Bolivar est arrivé à Potosi et a été chaleureusement accueilli par la population locale.
"Sans le soutien économique du Cerro Rico et la contribution des habitants de Potosi, il aurait été difficile de mener à bien la guerre d'indépendance", explique Sheila Beltran, conservatrice du musée du gouvernement provincial de Potosi.
Mme Beltran ajoute que Bolivar était lui aussi de cet avis. "Le mot 'Bolivie' est dérivé de 'Bolivar', et c'est le nom de notre pays bien-aimé aujourd'hui."
PRENDRE LE CONTROLE DE SA PROPRE FORTUNE
A une altitude de plus de 3.000 mètres, à quelque 200km à l'ouest de la "riche montagne" de Potosi, se trouve le Salar d'Uyuni, l'un des plus grands gisements de lithium au monde.
Le lithium, qui ressemble à de l'argent, est devenu ces dernières années une ressource minérale très recherchée sur le marché international. Selon les données du U.S. Geological Survey, les réserves de lithium de la Bolivie sont actuellement les premières au monde.
En mars 2023, le président bolivien Luis Arce a condamné Laura Richardson, commandante du United States Southern Command, pour avoir ouvertement critiqué la Bolivie et d'autres pays d'Amérique latine pour leur politique de coopération internationale dans l'exploitation des mines de lithium.
"Nous devons être unis sur le marché, de manière souveraine, avec des prix qui profitent à nos économies", a-t-il affirmé.
La véritable prospérité ne peut être apportée que par une véritable indépendance, une leçon profonde que le peuple bolivien a tirée de l'histoire de Potosi.
L'ancien ministre bolivien des Affaires étrangères, Fernando Huanacuni, a indiqué que l'ingérence et l'hégémonie étrangères ne mèneront jamais à la stabilité économique et sociale, tandis que le renforcement de la coopération Sud-Sud est la clé du processus de démocratisation et d'intégration.
Fin août 2023, après l'annonce que les BRICS ont accepté d'élargir leur groupe, M. Arce a déclaré que son pays espérait devenir un partenaire stratégique des BRICS.
Pour les marchés émergents et les pays en développement, l'adhésion aux BRICS leur permet de poursuivre conjointement leur développement tout en sauvegardant leur souveraineté nationale et leur indépendance économique, selon M. Huanacuni.
Les visiteurs affluent dorénavant à la Monnaie nationale de Bolivie, notamment de jeunes étudiants. Pour Luis Arancibia, directeur du musée, une interprétation critique de l'histoire coloniale est nécessaire.
"Ce n'est qu'en reconnaissant les dommages causés par les colonisateurs à nos ancêtres et à notre terre que nous pourrons mieux nous comprendre et continuer à aller de l'avant", a-t-il ajouté.