PARIS, 30 décembre (Xinhua) -- La fusillade du 23 décembre à Paris devant un centre culturel kurde commise par un déséquilibré raciste a profondément heurté la communauté kurde de France. Celle-ci demeure persuadée que l'Etat français n'a pas assez cherché à assurer la protection des Kurdes menacés par la Turquie.
Ce jour-là, un homme de 69 ans, William Malet, a ouvert le feu peu avant midi dans le Xe arrondissement de Paris, au niveau du centre culturel kurde Ahmet Kaya. Trois personnes ont été tuées, trois autres ont été blessées. Parmi les morts, on compte une femme, la militante Emine Kara, et deux hommes, un chanteur kurde réfugié politique en France, et un habitué du Centre culturel.
UN SUSPECT DESEQUILIBRE CONNU DE LA POLICE POUR DES AGRESSIONS RACISTES
Le suspect, de nationalité française, est un conducteur de train à la retraite né en mars 1953 à Montreuil (Seine-Saint-Denis), domicilié à Paris. Il a été interpellé par la police et placé en garde à vue. Une enquête ouverte par le parquet de Paris, pour chefs d'assassinats, d'homicides volontaires et de violences aggravées, a été confiée à la brigade criminelle de la police judiciaire.
L'homme est notamment connu des services de police pour une tentative d'homicide en 2021. Le 8 décembre de cette année-là, il avait attaqué un campement de migrants dans le XIIe arrondissement avec un sabre en hurlant "mort aux migrants". Mis en examen, il avait été placé en détention provisoire avant d'être remis en liberté conditionnelle le 12 décembre 2022, au terme du délai légal d'un an de détention provisoire pour les faits visés. Sa libération avait été assortie d'un contrôle judiciaire lui interdisant de détenir des armes et l'obligeant à des soins psychiatriques.
Sa haine des étrangers comporterait, selon plusieurs analystes, une dimension qu'il qualifie lui-même de "pathologique", selon le communiqué du parquet le 25 décembre. Son propre père a déclaré à plusieurs médias que son fils était "complètement fou". Le suspect n'est affilié à aucune organisation d'extrême droite. Il a d'abord passé près de 24 heures à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, puis, au cours de sa garde à vue, il a longuement détaillé sa haine des étrangers non européens.
LA COLERE ET LES SOUPCONS DE LA COMMUNAUTE KURDE
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin s'est rendu le jour même sur les lieux de l'attaque. Une prise de parole qui n'a pas été appréciée de tous. Pour Agit Polat, porte-parole du Centre démocratique kurde de France, il "est venu tenir une conférence de presse sur les lieux de l'attentat, mais a refusé de nous parler ou de nous rencontrer".
Dans la foulée de l'intervention du ministre, des heurts ont opposé la police à des manifestants kurdes lorsque la foule s'est heurtée à un cordon policier qui protégeait la scène de crime. La police a fait usage de gaz lacrymogène, mais les manifestants ont riposté en jetant des pétards ou des pierres sur les forces de l'ordre. Les affrontements ont ensuite dégénéré : des poubelles ont été incendiées, des vitres de véhicules de police brisées par des pavés tandis que quelques barricades ont été dressées sur la chaussée.
A Marseille, une manifestation non déclarée d'environ 150 Kurdes entre la Canebière et la préfecture a été bloquée par un cordon policier.
Cette attaque meurtrière a provoqué la colère de la communauté kurde contre l'Etat français. Elle ne parvient pas à croire à l'hypothèse raciste, mais davantage à une action de la Turquie. Car le centre culturel visé est le siège officieux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Paris et le point de ralliement de la communauté dans la capitale. Il héberge le Centre démocratique kurde de France (CDKF), qui est la principale émanation du mouvement nationaliste kurde en France et la façade légale du PKK.
De plus, l'attaque est intervenue dans un contexte particulier : la préparation de la commémoration des dix ans du triple assassinat commis le 9 janvier 2013 contre des responsables du mouvement kurde, dans un autre local de l'organisation, situé rue Lafayette, dans le Xe arrondissement de Paris.
On compterait environ 250.000 Kurdes en France, deuxième pays d'Europe à les accueillir derrière l'Allemagne, selon des statistiques de 2016 de l'Institut kurde de Paris.
Cela fait un peu plus de 40 ans que le Xe arrondissement est un point de repère pour les Kurdes de Turquie. Ils sont venus travailler à partir de la fin des années 1970 dans les ateliers de confection situés dans le prolongement du quartier du Sentier. Puis sont arrivés les réfugiés politiques kurdes chassés de Turquie par le coup d'Etat militaire de 1980.
Les organisations politiques liées à l'extrême gauche turque et au mouvement kurde s'y sont implantées et ont recruté des militants au sein d'une population prolétaire expatriée. Si les ateliers de confection ont fermé, les locaux des organisations politiques, en particulier ceux du PKK, sont restés. Ce quartier est demeuré le centre de gravitation des Kurdes militants réfugiés ou exilés.
UNE FUSILLADE QUI COMPLIQUE LA DIPLOMATIE FRANCO-TURQUE
Hervé Magro, ambassadeur de France à Ankara, a été convoqué le 26 décembre au ministère turc des Affaires étrangères. Depuis l'attaque de la rue d'Enghien, le pays dit percevoir une "propagande anti-Turquie" en France. Ankara reproche à Paris d'avoir laissé des partisans du PKK manifester avec des pancartes qui évoquaient des liens entre la Turquie et l'assassin.
La Turquie pointe du doigt les contradictions du gouvernement français sur le PKK, d'une part considéré comme une organisation terroriste par l'UE, dont la France, et d'autre part toléré, puisque des organisations liées au PKK, comme le Conseil démocratique kurde en France, ont pignon sur rue.
L'incident ne risque donc pas d'arranger une relation franco-turque déjà compliquée. Fin




