Le président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame ont entériné jeudi à Washington un accord de paix visant à mettre fin à "l'un des pires conflits dans le monde" vieux de trois décennies.
KINSHASA, 5 décembre (Xinhua) -- Le président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame ont entériné jeudi à Washington un accord de paix visant à mettre fin à "l'un des pires conflits dans le monde" vieux de trois décennies.
Cet accord, en vertu duquel Kingshasa et Kigali s'engagent à respecter mutuellement leur intégrité territoriale et à cesser toute action hostile, semble achopper sur la fragilité de la situation sur le terrain dans l'est de la RDC, où les lignes de front bougent jusqu'ici avec de nouvelles attaques, pour lesquelles les deux parties se sont renvoyé la balle.
UN ACCORD "HISTORIQUE"
Cet accord de paix, qualifié d'"historique" par la Maison Blanche, a entériné les termes convenus en juin dernier entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays.
"Ce conflit dure depuis trente ans. De nombreux efforts ont été entrepris, mais aucun n'a permis de résoudre les causes profondes du problème", a commenté M. Kagame lors de la cérémonie, sous les regards de plusieurs autres dirigeants africains, dont le président kenyan William Ruto, son homologue angolais Joao Lourenço, le président burundais Evariste Ndayishimiye, ainsi que le président du Conseil des ministres du Togo, Faure Gnassingbé.
Le 27 juin dernier, les chefs de la diplomatie congolaise et rwandaise ont signé à Washington un accord de paix, qui est entré en vigueur dès sa signature, marquant un tournant dans les efforts visant à mettre fin à des années de tensions armées et de crise humanitaire dans la région des Grands Lacs.
L'accord "n'est pas un document de plus", mais constitue plutôt "un véritable tournant", a indiqué M. Tshisekedi.
Depuis des décennies, l'est de la RDC est le théâtre de violences récurrentes, exacerbées par les offensives du Mouvement du 23 mars (M23), que Kinshasa accuse Kigali de soutenir. Le Rwanda, de son côté, nie tout appui au M23 et reproche aux forces congolaises leur collusion avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), accusées d'avoir participé au génocide de 1994.
Cet accord poursuit trois objectifs essentiels : mettre fin à la spirale de violence dans l'est du pays, restaurer la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RDC, et tarir les financements de la guerre en coupant les circuits illicites de minerais, un aspect que le président congolais juge souvent sous-estimé, a indiqué mercredi Tina Salama, porte-parole de M. Tshisekedi, lors d'un point de presse à Washington.
"ll nous revient, à nous Africains, en travaillant avec nos partenaires, de consolider et d'élargir cette paix. Il y aura des hauts et des bas sur la route qui nous attend, cela ne fait aucun doute. Quant au Rwanda, je sais qu'il ne fera pas défaut", a noté pour sa part le président rwandais.
DIPLOMATIE AU RALENTI, TERRAIN EN FEU
Malgré l'élan diplomatique affiché à Washington, la mise en œuvre concrète de l'accord peine à suivre le même rythme.
Depuis la signature de juin, le processus de mise en œuvre de l'accord connaît une "stagnation préoccupante", a averti le Baromètre des accords de paix en Afrique dans son dernier rapport.
Selon cette initiative indépendante spécialisée dans le suivi et l'évaluation des accords de paix sur le continent, seules 19 des 30 tâches prévues ont connu un début d'exécution, avec un niveau d'application jugé "minimal" pour la cessation des hostilités sur le terrain.
"La paix n'est pas seulement une signature ; le plus difficile, c'est la mise en œuvre", a souligné mercredi le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, lors d'une conférence de presse à Washington.
Cette mise en garde trouve un écho direct dans la réalité du terrain. Dans la province du Sud-Kivu (est), les combats ne connaissent aucun répit. Ces derniers jours, les affrontements entre les Forces armées de la RDC (FARDC) et les rebelles du M23 se sont intensifiés, chaque camp accusant l'autre d'avoir violé le cessez-le-feu. Sur les collines, la poussière soulevée par les obus contraste cruellement avec les tapis feutrés des salles de réunion où l'on discute de paix.
Dans un communiqué, Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC, a dénoncé mardi une série d'attaques du M23 contre les positions gouvernementales dans la province du Sud-Kivu, où plusieurs localités, dont la capitale provinciale Bukavu, ont été saisies par les rebelles. "Ces attaques démontrent suffisamment leur détermination et leur volonté de saboter les accords de paix."
La rébellion du M23 a, de son côté, accusé Kinshasa d'avoir "déclenché des attaques généralisées contre des zones densément peuplées ainsi que sur l'ensemble des lignes de front" au Sud-Kivu.
Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, a affirmé mercredi que les FARDC avaient frappé la zone densément peuplée de Kamanyola, un carrefour stratégique désormais sous le contrôle du M23, causant la mort d'au moins quatre civils et en blessant six autres.
La porte-parole du président de la RDC, Tina Salama, a insisté mercredi sur le rythme propre au processus diplomatique : "la diplomatie a son tempo, sa cadence. On peut parfois avoir l'impression qu'elle est lente, mais il faut lui laisser le temps. Il y a, d'un côté, la diplomatie et, de l'autre, les opérations. On a parlé ici de danse : peut-être pas le tango, mais la rumba".
"LA PAIX D'ABORD, L'ECONOMIE ENSUITE"
Outre l'accord de paix, Kinshasa et Kigali doivent également signer formellement le Cadre d'intégration économique régionale (CIER), paraphé le 7 novembre dernier et destiné à renforcer la coopération bilatérale ainsi qu'à transformer les dividendes de la paix en projets de développement concrets.
Selon cet accord sur le CIER, ses dispositions "prennent effet à compter de la bonne exécution" de deux instruments militaires déjà adoptés dans le cadre de l'accord de paix.
Mme Salama a rappelé que le pays avait voulu avancer par étapes. "La paix d'abord, ensuite l'économie." Selon elle, aucune intégration régionale viable n'est possible sans stabilité préalable, ce qui justifie que le volet sécuritaire ait été traité en priorité.
"Concernant le cadre d'intégration économique régionale, ce n'est pas une cogestion, ce n'est pas une fusion, ce n'est pas, en tout cas, une perte de notre souveraineté", a-t-elle noté. Il ne s'agit pas de "partager" les minerais avec les pays voisins, mais plutôt de créer les conditions d'un espace économique mieux structuré, favorable au développement de projets communs capables d'améliorer concrètement les conditions de vie des populations, a-t-elle précisé.
"Un est de la RDC pacifié pourrait libérer l'une des plus grandes potentialités économiques du continent africain", a indiqué le président angolais, citant notamment le Grand barrage d'Inga, un projet hydroélectrique de dimension continentale, destiné à alimenter une bonne partie de l'Afrique centrale et australe.
Sur le plan humanitaire, la situation demeure alarmante. Selon l'ONU, plus de 2,4 millions de personnes ont été déplacées depuis janvier 2025, portant à près de six millions le nombre total de déplacés internes. Près d'un million de Congolais ont trouvé refuge dans les pays voisins, tandis que 27 millions de personnes sont aujourd'hui menacées par la faim.■
