Par Zuo Yu
La sortie récente du modèle R1 du chatbot de la start-up chinoise DeepSeek, à faible coût d'entraînement mais de très haute performance, publié de surcroît en open source, a produit l'effet d'un tremblement de terre dans le secteur mondial de l'intelligence artificielle (IA). En plus de l'arrivée impressionnante de la nouvelle version de l'agent conversationnel de l'entreprise française Mistral AI, Le Chat, une vraie révolution semble s'être enclenchée.
Rompant avec le paradigme ancien fondé sur des modèles fermés et énergivores, dont se servent certains Etats et géants industriels pour maintenir leur hégémonie technologique, ces nouvelles percées démontrent qu'une approche ouverte, collaborative et durable peut apporter des progrès technologiques.
Qu'il s'agisse de R&D, de régulation ou de gouvernance, les nombreux éléments de convergence que partagent la Chine, la France et d'autres pays de l'Europe, acteurs clés pour l'avenir de l'IA, leur confèrent tous les atouts nécessaires pour ouvrir au monde la voie vers une IA inclusive et bénéfique pour tous.
CONSENSUS SINO-FRANCAIS : DE LA R&D A LA GOUVERNANCE MONDIALE
Derrière des trajectoires de R&D similaires se trouve en effet un consensus sino-français sur la nécessité de faire progresser la gouvernance mondiale de l'IA dans une approche inclusive.
Lors du Sommet pour l'Action sur l'IA à Paris le mois dernier, le président français Emmanuel Macron a appelé au renforcement de la coopération pour "faire avancer une gouvernance internationale de l'intelligence artificielle". La Chine, pour sa part, a porté une vision de l'IA centrée sur l'humain et au service du bien commun, avec des avantages accessibles à tous.
Il est à rappeler que lors de la visite d'Etat en France du président chinois Xi Jinping en mai 2024, les deux pays ont publié une déclaration conjointe appelant à "saisir tout le potentiel" de cette nouvelle technologie et à suivre "le principe de l'IA au service du bien commun". La France et la Chine "s'engagent à approfondir leurs échanges sur les modalités d'une gouvernance internationale de l'intelligence artificielle". Et elles "soutiennent une coopération internationale accrue pour réduire la fracture numérique et renforcer les capacités des pays en développement en matière d'IA".
Au cours du Sommet de Paris, une soixantaine de pays, dont la Chine et la France, ont signé la déclaration pour une IA "ouverte, inclusive et éthique". Ils ont appelé à renforcer le "dialogue mondial" et se sont prononcés contre la "concentration du marché" afin que cette technologie soit davantage accessible. Toujours dans cet esprit d'engagement, la Chine organisera en juin 2025 à Shanghai la Conférence mondiale sur l'IA, une échéance qu'attendent "avec intérêt" les pays signataires de la déclaration.
COMPLEMENTARITE SINO-EUROPEENE : POUR UNE GOUVERNANCE RESPONSABLE ET EFFICACE DE L'IA
Si les visions de la Chine et de l'Europe ne sont pas à 100% identiques sur tous les enjeux de la régulation de l'IA, elles partagent néanmoins une conviction essentielle : celle d'éviter une approche binaire opposant de manière simpliste régulation et innovation.
D'un côté, un développement de l'IA fondé sur une innovation dérégulée ne peut pas être qualifié de vrai progrès. L'Union européenne, pôle économique et technologique majeur au monde, est pionnière dans l'encadrement de cette technologie. Le règlement européen sur l'IA, entré en vigueur en août 2024, est le tout premier cadre juridique complet au monde dans ce domaine. La Chine a, elle aussi, lancé l'Initiative pour la gouvernance mondiale de l'IA, appelant à placer l'éthique au cœur du développement et de l'utilisation de cette technologie et à mettre en place des normes, des règles et des mécanismes de responsabilisation pour des systèmes d'IA. Avec l'adoption de la Loi sur la sécurité des données et des Dispositions provisoires sur la gestion des services d'intelligence artificielle générative, un cadre réglementaire pour l'IA a été progressivement établi en Chine.
De l'autre côté, comme ce qu'a fait remarquer le président français Emmanuel Macron lors du Sommet de Paris, il est important de trouver un juste équilibre entre l'innovation et la régulation pour qu'elles se renforcent mutuellement. Une vision en parfaite harmonie avec la stratégie chinoise qui veut que les percées technologiques vont de pair avec la maîtrise des risques.
La Chine et l'Europe ont donc tout à gagner à renforcer leurs échanges et leur coopération sur ces questions, en partageant les meilleures pratiques et leurs expériences respectives, pour progresser ensemble.
VERS L'AVENIR : UNE PERSPECTIVE DE COOPERATION SE DESSINE
Certains disent que le Sommet de Paris a marqué une évolution dans le paysage mondial de l'IA, qui passe désormais d'une "structure bipolaire" à une "rivalité entre trois puissances". Mais sommes-nous obligés de toujours tout voir sous l'angle de la confrontation ?
De l'invention des bœufs et chevaux mécaniques par le grand stratège chinois Zhuge Liang pendant la période des Trois Royaumes, à la légende Galatée, statue devenue vivante de Pygmalion dans la mythologie grecque, les civilisations orientale et occidentale partagent dès l'Antiquité une fascination commune pour l'intelligence artificielle.
Aujourd'hui, le développement de l'IA arrive à un tournant décisif. Faut-il privilégier la compétition entre Etats et la quête de monopole et de domination ? Ou bien vaudrait-il mieux mettre en commun la sagesse de tout un chacun pour œuvrer ensemble à un développement inclusif et bénéfique pour tous ? Le choix appartient à chaque Etat.
Le chemin de la coopération ne sera pas sans obstacles, mais une voie commune commence déjà à se dessiner. En juillet 2024, la Chine a proposé à la 78e Assemblée générale des Nations Unies une résolution sur l'intensification de la coopération internationale en matière de renforcement des capacités dans le domaine de l'IA, qui a été cosignée par plus de 140 pays, y compris les Etats-Unis. Il s'agissait d'une initiative importante pour forger un consensus international de coopération pour une IA inclusive.
Comme l'ont déclaré les dirigeants lors du Sommet de Paris, l'intelligence artificielle ne doit pas devenir un outil de confrontation entre Etats, mais une occasion de développement partagé, et les fruits de l'innovation technologique doivent être accessibles à tous, de manière équitable et ouverte. Ce n'est qu'en refusant de raisonner uniquement en termes de gagnant et de perdant que nous pourrons éviter que l'IA ne devienne un "jeu des pays riches et des fortunés".
Il est temps pour tous les acteurs de faire un sursaut collectif pour paver le chemin vers une IA inclusive et bénéfique pour tous. En travaillant dans un esprit de partenariat et d'ouverture, nous saurons libérer tout le potentiel de cette technologie et en faire un formidable levier de progrès au service de l'humanité tout entière. Fin
Note de la rédaction : Zuo Yu est un spécialiste en relations internationales basé à Beijing.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les positions de l'Agence de presse Xinhua. Fin

