L'or noir, témoin de la lutte pour l'indépendance de l'Irak depuis un siècle (REPORTAGE) - Xinhua - french.news.cn

L'or noir, témoin de la lutte pour l'indépendance de l'Irak depuis un siècle (REPORTAGE)

French.news.cn | 2024-07-29 à 23:06

BAGDAD, 29 juillet (Xinhua) -- Hussein Ali Saeed, un habitant de Kirkouk de 81 ans, a passé toute sa vie dans cette ville du nord de l'Irak réputée pour ses abondantes réserves de pétrole.

Pour cet ouvrier pétrolier irakien à la retraite, sa ville natale est parsemée de flammes qui font rage au-dessus des champs de pétrole, avec des oléoducs argentés qui s'étendent de loin et se prolongent encore.

"A cause du pétrole, le monde entier a les yeux rivés sur l'Irak", soupire Hussein. "Toute ma vie est étroitement liée au pétrole, tout comme le destin de mon pays".

DE L'OR NOIR AU CAUCHEMAR NOIR

Après la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont fusionné les régions de Bagdad, Bassorah et Mossoul, prises à l'Empire ottoman vaincu, en une nouvelle nation appelée Irak, qu'ils ont gouvernée dans le cadre d'un mandat.

En août 1921, le roi Fayçal Ier, installé par les Britanniques, monte précipitamment sur le trône à Bagdad. Ne disposant pas de son propre hymne national, la cérémonie de couronnement se déroule sur l'hymne national britannique God Save the King.

En 1927, une équipe conjointe de compagnies pétrolières britanniques, néerlandaises et d'autres pays occidentaux a commencé à explorer le champ pétrolifère de Baba Gurgur à Kirkouk.

"Lorsque les Britanniques sont arrivés, Kirkouk était vraiment une ville de l'or noir, comme si une allumette pouvait enflammer la poussière dans l'air", se souvient Hussein.

L'avidité des colonisateurs s'est manifestée lorsqu'ils n'ont versé à l'Irak qu'une redevance de quatre shillings d'or par tonne de pétrole, soit 12,5% du prix d'une tonne de pétrole brut à l'époque.

Pour s'emparer du pétrole, les Occidentaux ont construit un oléoduc de Kirkouk à la Méditerranée, le plus long projet d'oléoduc au monde à l'époque, capable de livrer plus de quatre millions de tonnes de pétrole par an à l'Europe.

Ils n'ont établi aucune raffinerie de pétrole commerciale en Irak, tout en refusant de développer des industries locales basées sur le pétrole et de partager toute technologie. Par conséquent, malgré ses vastes ressources pétrolières, l'Irak a été contraint d'importer des produits pétroliers.

"L'Irak était comme un chameau transportant de l'or tout en mangeant des épines", déplore Hussein. "La richesse a coulé à flots vers l'Occident. Les Britanniques, les Français, les Néerlandais et les Américains ont tous pris des parts, mais les Irakiens n'ont rien eu".

Toujours insatisfaites, les puissances occidentales ont commencé à établir de nouvelles règles. En 1928, trois géants pétroliers américain, britannique et néerlandais ont tenu une réunion secrète, formant un cartel dans le cadre de l'accord d'Achnacarry pour contrôler le marché mondial du pétrole. Dans les années 1930, quatre autres compagnies pétrolières occidentales les rejoignent, marquant la création du cartel pétrolier des Sept Sœurs.

Ces géants ont monopolisé l'industrie pétrolière, contrôlant la production, le transport, les prix et les ventes. Entre 1913 et 1947, les compagnies pétrolières occidentales ont gagné plus de 3,7 milliards de dollars grâce aux pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient, y compris l'Irak, tout en ne payant que 510 millions de dollars de redevances.

"L'or noir a alimenté l'âge d'or de l'Occident, mais il est devenu le cauchemar noir de l'Irak", dit Hussein, avant d'ajouter : "Parfois, je me dis qu'il aurait mieux valu pour nous qu'il n'y ait pas eu de pétrole du tout".

LA LUTTE POUR L'INDEPENDANCE NATIONALE

Le milieu du XXe siècle a été marqué par une forte vague de luttes anticoloniales en Asie et en Afrique, qui a conduit à l'indépendance de nombreux pays. Le régime fantoche de la dynastie Fayçal, contrôlé par les Britanniques, a commencé à montrer des signes de faiblesse.

"A l'époque, le pays était presque démuni. Tout le monde vivait dans la pauvreté et la faim. C'est dans ce contexte que la révolution a éclaté", rappelle Hussein.

Le 14 juillet 1958, des coups de feu retentissent à Bagdad alors qu'Abdel Karim Kassem organise un coup d'Etat et renverse Fayçal II, ce qui conduit à la création de la République d'Irak et à la fin de la tutelle britannique.

"Reprendre les richesses volées" est devenu le cri de ralliement de la nouvelle république, l'élimination du colonialisme pétrolier en étant un objectif primordial. En 1959, l'Irak a créé son ministère du Pétrole pour gérer les affaires pétrolières nationales.

Malgré tous ces efforts, les Sept Sœurs contrôlaient plus de 80% des réserves pétrolières mondiales, ce qui leur permettait de manipuler les prix du pétrole.

Pour s'en affranchir, l'Irak cherche à s'allier avec des pays du tiers-monde. En septembre 1960, des représentants du Venezuela, de l'Arabie saoudite, du Koweït et de l'Iran se sont réunis à Bagdad à l'invitation de l'Irak, créant ainsi l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) afin de protéger les intérêts des pays membres et de garantir la stabilité des prix du marché pétrolier.

Le 1er juin 1972, l'Iraq National Oil Company a nationalisé l'Iraq Petroleum Company, sous contrôle de l'Occident, déclenchant une vague de nationalisation qui s'est rapidement propagée au Koweït, au Venezuela, en Arabie saoudite et à d'autres pays.

En octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, les producteurs de pétrole du Moyen-Orient ont annoncé un embargo à l'encontre des pays occidentaux soutenant Israël. L'OPEP a saisi cette occasion pour reprendre le pouvoir sur la fixation des prix du pétrole, faisant passer le prix du baril de 5,12 à 11,65 dollars en décembre.

Pour l'Occident, cette crise pétrolière a mis fin à l'âge d'or, période où le pétrole était moins cher que l'eau.

Avec la flambée des prix du pétrole, l'Irak est entré dans une période de développement rapide. En 1979, son PIB par habitant est passé à 2.858 dollars au lieu de 392 dollars au début de la nationalisation du pétrole.

"L'économie, la société, la science et la culture ont tous prospéré. L'éducation et la santé étaient assurées. Nos salaires ont augmenté, notre épargne s'est accrue et de nombreuses familles ont acheté des voitures et ont même voyagé ou étudié à l'étranger", se souvient Hussein, à propos de cette période de prospérité.

L'HISTOIRE SE REPETE

Le 20 mars 2003, alors que les sirènes d'alerte aérienne retentissent au-dessus de Bagdad, l'obscurité s'abat à nouveau sur le pays.

"Nous n'avons aucune autre ambition en Irak que d'éliminer une menace et de rendre le contrôle de ce pays à son propre peuple", avait proclamé le président américain de l'époque, George W. Bush.

Dès qu'ils ont appris l'invasion américaine, Hussein et ses collègues ont brûlé tout le matériel lié à la production de pétrole.

"Si nous ne les avions pas détruits, les Américains seraient certainement venus nous chercher des noises", explique-t-il.

L'instinct de Hussein est né des souffrances passées du pays. L'ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a admis dans ses mémoires : "Je suis attristé par le fait qu'il soit politiquement inconvenant de reconnaître ce que tout le monde sait : la guerre en Irak est en grande partie une affaire de pétrole".

"L'histoire semble se répéter, l'invasion américaine nous ramenant cent ans en arrière", déplore Hussein avec amertume.

Dans les années 1970, avec le déclin de la domination économique américaine et l'effondrement du système de Bretton Woods, le dollar a été découplé de l'or. Pour maintenir l'hégémonie du dollar, les Etats-Unis l'ont lié au pétrole, créant ainsi le système des pétrodollars.

En 2000, l'Irak est passé du dollar à l'euro pour le commerce du pétrole, constituant ainsi une menace pour le système des pétrodollars. Après l'invasion de 2003 et la chute du gouvernement de Saddam Hussein, Washington a exigé que les exportations de pétrole irakien reviennent à des transactions en dollar.

L'invasion américaine a dévasté l'Irak. "Le niveau de vie de base s'est effondré, les pensions étaient faibles, les personnes âgées n'avaient plus accès aux soins, et parfois même l'approvisionnement en nourriture était incertain", dénonce Hussein.

En 2011, l'armée américaine s'est retirée, laissant derrière elle un Irak économiquement stagnant et politiquement fracturé, en proie au terrorisme. Selon les estimations, la guerre et les violences qui en ont résulté ont tué plus de 200.000 civils et en ont déplacé plus de neuf millions d'autres.

"Le pétrole devrait être une source de bonheur pour les Irakiens. Pourtant, depuis plus d'un siècle, il est devenu une malédiction pour le pays", conclut Hussein.

PARTENARIAT AVEC LE SUD GLOBAL

Le pétrole reste aujourd'hui le pilier économique de l'Irak. La Banque mondiale a déclaré en 2022 que les recettes pétrolières représentaient plus de 99% des exportations irakiennes, 85% du budget du gouvernement et 42% du PIB au cours de la dernière décennie.

Pour parvenir à une véritable prospérité et à l'indépendance, l'Irak doit impérativement diversifier son économie.

En 2023, l'Irak a lancé un projet de route de développement d'une valeur de 17 milliards de dollars pour relier par rail et par route un grand port de marchandises sur sa côte sud à la frontière avec la Turquie, dans le but de transformer l'économie du pays après des décennies de guerre et de crise.

Ce projet témoigne non seulement de la volonté de l'Irak de réduire sa dépendance à l'égard du pétrole, mais aussi de son désir de renforcer la coopération avec les pays du Sud global.

En septembre 2023, un projet ferroviaire reliant la ville irakienne de Bassorah à la ville frontalière iranienne de Shalamcheh a débuté. En avril de cette année, l'Irak a signé un protocole d'accord quadripartite pour le projet de route de développement avec la Turquie, le Qatar et les Emirats arabes unis.

"Kirkouk dispose désormais de nouvelles routes, de moyens de transport améliorés...", se réjouit M. Hussein. "C'est le début de notre reconstruction et notre avenir est prometteur." Fin

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