HANGZHOU, 18 juin (Xinhua) -- Chaque matin, des centaines de femmes se rassemblent dans le vaste marché de gros de Yiwu, ville de l'est de la Chine surnommée le "supermarché du monde". Cependant, elles ne sont pas de simples acheteuses enthousiastes ! Ce sont des patronnes ambitieuses qui luttent pour obtenir des places de choix dans des ateliers d'anglais très animés.
Ces cheffes d'entreprise ont bâti des empires commerciaux florissants qui ont fait de nombre d'entre elles des millionnaires, voire des milliardaires. Qu'il s'agisse de chaussettes, de parapluies, de jouets ou d'autres marchandises provenant de cette ville, ces femmes refusent de laisser les barrières linguistiques entraver leurs aspirations commerciales mondiales.
L'une de ces pionnières est Fu Jiangyan, âgée de 42 ans, qui gère une boutique de chaussettes dans le marché de commerce international de Yiwu, le plus grand marché de gros de petites marchandises au monde, situé dans la province chinoise du Zhejiang (est).
Pendant les 40 minutes qui suivent leur arrivée à ces ateliers d'anglais, Mme Fu et d'autres participantes tiennent des feuilles de papier et pratiquent des conversations et des termes en anglais liés aux calendriers de livraison, aux détails d'emballage et aux méthodes de paiement, sous la tutelle d'un enseignant.
Dans les entreprises familiales typiques de Yiwu, les femmes gèrent les magasins du marché et négocient directement avec les acheteurs étrangers, tandis que leurs époux dirigent les usines. Selon Mme Fu, ces femmes sont affectueusement appelées les "patronnes".
Environ 3.500 commerçants étrangers fréquentent quotidiennement le marché de commerce international de Yiwu.
"Les clients étrangers préfèrent faire affaire avec quelqu'un qui parle leur langue plutôt que de s'en remettre à des traducteurs impersonnels", explique Mme Fu. "Vous pouvez obtenir non seulement des commandes, mais aussi des amis, une perspective plus large et bien d'autres surprises agréables".
Organisés par le Zhejiang China Commodities City Group, les ateliers d'anglais ont permis à 500.000 participants d'acquérir des compétences linguistiques au cours des 17 dernières années, selon Zhang Li, directrice générale adjointe du centre de ressources humaines du groupe.
"Apprendre l'anglais est devenu une tendance répandue", confie Mme Zhang.
PLUS QUE L'ANGLAIS
Pour les patronnes comme Mme Fu, la maîtrise des langues étrangères est plus qu'une tendance : c'est une stratégie commerciale cruciale. Chaque année, Mme Fu et son mari vendent 20 millions de paires de chaussettes, principalement exportées vers l'Amérique du Sud, le Moyen-Orient et l'Afrique du Sud, ce dernier représentant 70% de leurs ventes.
Au fur et à mesure que ses affaires s'étendaient à d'autres continents, elle s'est rendu compte qu'il ne suffisait pas de maîtriser l'anglais. Elle s'est donc lancée dans l'apprentissage de l'espagnol, du coréen et de l'arabe, consacrant ses soirées après la fermeture du magasin à ces activités linguistiques.
Après avoir commencé par l'auto-apprentissage en ligne, elle a participé à un atelier d'espagnol, qui a permis de transmettre des compétences linguistiques à plus de 2.000 personnes au cours des trois dernières années.
Pour répondre aux exigences du commerce international, les entreprises de formation linguistique à Yiwu proposent également des cours de langues étrangères telles que l'arabe et le portugais pour les commerçants et les entreprises de commerce extérieur, explique Jin Zhengping, directeur d'un centre de formation linguistique.
Le magasin de Mme Fu fait partie des 75.000 stands du marché de commerce international de Yiwu, qui offre près de 2,1 millions de variétés de marchandises expédiées presque partout dans le monde.
Yiwu, ville pauvre il y a quelques décennies, est devenue le "supermarché du monde", symbole du dynamisme et de la résilience économiques de la Chine. Ses produits de base sont indispensables dans les chaînes industrielles, d'approvisionnement et commerciales mondiales.
Environ deux tiers des décorations de Noël dans le monde sont fabriqués à Yiwu. En outre, si vous assistez à des matchs de football, à des concerts ou achetez de vêtements, il est très probable que les chaussettes de football, les bâtons lumineux ou les boutons de chemise proviennent de Yiwu.
Après avoir dépassé le seuil des 500 milliards de yuans (environ 70,32 milliards de dollars) de volume de commerce extérieur pour la première fois en 2023, la valeur des importations et des exportations de Yiwu a maintenu sa croissance cette année. De janvier à avril, ce volume a atteint 201,06 milliards de yuans, soit une hausse de 22% par rapport à la même période en 2023, avec une valeur des exportations totalisant 176,38 milliards de yuans.
L'Afrique, l'Amérique latine et les pays de l'ASEAN sont parmi les principaux partenaires commerciaux de Yiwu, enregistrant respectivement des augmentations de 19%, de 34,9% et de 38,7%, en termes de volume commercial sur les quatre premiers mois de l'année. En outre, le commerce extérieur de Yiwu avec l'Inde et l'Arabie Saoudite a également connu une croissance importante.
NOUVEAUX OUTILS, NOUVEAUX HORIZONS
"Par le passé, nous comptions souvent sur des traducteurs, des calculatrices et même le langage corporel pour conclure des affaires avec des acheteurs étrangers", indique Fu Miaoling, une autre femme d'affaires de Yiwu spécialisée dans les produits en bambou.
"Bien que l'apprentissage des langues étrangères puisse aider à maintenir et à élargir notre clientèle, il est presque impossible de maîtriser toutes les langues lorsque nos produits atteignent plus de 100 pays", ajoute-t-elle. "Nous avons besoin de nouveaux outils."
Aujourd'hui, les patronnes de Yiwu se tournent vers l'intelligence artificielle (IA) alors que la ville profite de l'élan de l'économie numérique florissante de la Chine.
Par exemple, Fu Jiangyan a commencé à utiliser une application innovante pour améliorer les vidéos de ses produits. Après avoir enregistré en chinois, l'application transforme ses paroles en 36 langues, dont l'anglais, le français, l'espagnol et l'arabe, tout en synchronisant le mouvement de ses lèvres.
A Yiwu, plus de 10.000 vendeurs utilisent désormais cette application d'IA, lancée à la fin de l'année dernière.
En tirant parti de cette technologie d'IA, Mme Fu et sept autres femmes ont orné les écrans emblématiques de Times Square à New York le mois dernier, présentant leurs entreprises à un public mondial.
Mme Fu a également perfectionné des compétences supplémentaires comme le montage de courtes vidéos. Une fois, une vidéo de moins d'une minute qu'elle a postée sur les réseaux sociaux a rapidement attiré l'attention d'un client albanais. Le lendemain, le client a commandé 12.000 paires de ses chaussettes de Noël.
"Les femmes d'affaires de Yiwu d'aujourd'hui ne sont pas comme leurs prédécesseurs", explique Svenja Neumann, une commerçante allemande possédant des années d'expériences à Yiwu. "Elles utilisent maintenant divers outils numériques pour acquérir des clients, faire des offres et gérer les commandes."
Yiwu abrite actuellement plus de 15.000 commerçants étrangers.
"La ville est très accueillante à leur égard. Beaucoup ont épousé des citoyens chinois, acheté des logements à Yiwu et en ont fait leur domicile", note Mme Fu.
Le fils de 17 ans de Mme Fu parle couramment l'anglais. Elle espère qu'il suivra des études supérieures, soit en Chine, soit à l'étranger.
"Nous espérons qu'il rejoindra un jour l'entreprise familiale", indique Mme Fu. "S'il choisit d'étudier le commerce international ou l'e-commerce, ce serait encore mieux. Il pourrait aider à amener notre entreprise à de nouveaux sommets". ■