Les multiples significations du mouvement Nuit debout

                 French.xinhuanet.com | Publié le 2016-04-26 à 21:03

En septembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street a suscité l'attention du monde entier. Quatre ans et demi plus tard, c'est au tour des Français réunis sur la place de la République à Paris pour la campagne Nuit debout d'attirer l'attention des médias internationaux, qui parlent déjà d'une version française du mouvement né à New York. Toutefois, Nuit debout est une campagne distinctement française.

Certains commentateurs estiment qu'en France, qui traverse depuis plusieurs années une crise économique et sociale, ce mouvement populaire pourrait être un prélude à un changement du paysage social et politique.

Une cause directe de la formation du mouvement a été l'annonce de la « loi Travail » par le gouvernement, qui a provoqué de vives protestations dans la société. En France, les limites du droit du travail actuel découragent les entreprises de créer des emplois, et la compétitivité des entreprises françaises est en déclin. En février 2016, le gouvernement a présenté un projet de loi pour modifier le droit du travail. La « loi Travail », considérée comme plus favorable aux entreprises qu'aux employés, a immédiatement rencontré une forte opposition des principaux syndicats. Les appels à la grève lancés par les syndicats se sont rapidement propagés dans l'ensemble du pays, en exigeant du gouvernement le retrait du projet de loi pour protéger les intérêts de la majorité des travailleurs. Les groupes étudiants, qui ont fortement ressenti la menace potentielle de la nouvelle loi, ont rapidement rejoint les rangs des protestataires. Le 31 mars, à l'appel des syndicats, une mobilisation nationale de grande ampleur s'est traduite par de nombreuses manifestations.

Un mouvement fortuit

Le mouvement protestataire en appelle à une « convergence des luttes », pour continuer à faire pression sur le gouvernement. Ainsi, après la journée de manifestations du 31 mars, certains ont appelé à rester mobilisés, et plusieurs milliers de personnes ont répondu à l'appel. Plutôt que de rentrer chez eux, ils ont occupé la place de la République dans l'est de Paris, et le mouvement Nuit debout était né. Cette nuit-là, les gens sont restés assis au sol sur la place, menant des débats sur les amendements de la « loi Travail ». Malgré les opinions différentes, l'ambiance est restée chaleureuse et ordonnée. Depuis, les débats se poursuivent et se tiennent tous les soirs.

La demande préalable au rassemblement faite par Nuit debout a été approuvée par la police, permettant au groupe de mener ses débats et activités sur la place de la République le soir à partir de 19 heures jusqu'à 1 heure le lendemain matin. Plusieurs milliers de personnes sont venues y participer. De nombreux participants sont de jeunes étudiants, porteurs d'idéaux politiques.

Les organisateurs ont également mis en place un organisme spécial pour traiter des questions liées au mouvement et pour élaborer des règles de conduite. Sur le site web de Nuit debout, tous les soirs, les organisateurs annoncent les thèmes à débattre. Les discussions sont présidées par un responsable, ceux qui veulent s'exprimer en font la demande au préalable et le temps de parole est limité. L'auditoire peut réagir aux propos en faisant un geste de la main. Les cris ne sont pas autorisés, dans le respect de l'esprit de Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Depuis le 31 mars, les débats de Nuit debout à Paris attirent de nombreux participants, en particulier parmi les jeunes. Quelques étrangers sont aussi venus participer aux discussions sur la place de la République. Le mouvement s'est bientôt répandu dans d'autres régions de France : plus de 60 villes ont organisé des débats Nuit debout, ainsi que certaines villes de Belgique et d'autres pays. Le mouvement est en passe de devenir une grande campagne.

Le mouvement a globalement recueilli le soutien du monde politique. Le président François Hollande a déclaré dans une interview télévisée qu'il s'agissait d'un espace d'expression des citoyens. Un secrétaire d'État s'est rendu sur la place de la République le 12 avril et a écouté attentivement les demandes des participants. Le premier secrétaire du Parti socialiste français Jean-Christophe Cambadélis a salué « le printemps de la repolitisation » de la société française, même s'il a estimé que le mouvement « est plus Hyde Park que la Puerta del Sol dans le moment présent ». Certains commentateurs ont affirmé qu'il s'agissait de la plus active manifestation citoyenne en France depuis mai 1968.

Le résultat inévitable d'une longue crise sociale

L'opinion publique est d'avis que le mouvement Nuit debout résulte inévitablement en France de la longue accumulation des points de crise sociale. Sa signification est extraordinaire, sous trois grands aspects.

Tout d'abord, les protestations se sont muées en débats, ce qui amorce un changement de l'expression de la communauté. Les Français ont l'habitude d'exprimer leurs revendications politiques par des manifestations dans les rues. Ces manifestations réunissent un grand nombre de personnes, mais les protestations ne sont pas comprises à un niveau plus profond que celui des slogans criés par la foule. Certains délinquants profitent en outre de ces événements pour semer le trouble. Les manifestations perdent leur élan en quelques jours, et disparaissent. Ce qui caractérise Nuit debout est que les gens se sont spontanément réunis pour participer librement à des débats et à une réflexion, afin de trouver des réponses aux problèmes. Le mouvement populaire laisse place à la pensée rationnelle. Par conséquent, sa signification et son impact sont plus profonds et plus durables.

Deuxièmement, par des débats généralisés et profonds, les gens s'interrogent sur le système politique existant et sur l'avenir du pays. Le mouvement a d'abord séduit les jeunes et les étudiants, puis les ouvriers, les agriculteurs et les retraités. Le contenu des discussions va bien au-delà du droit du travail et des modifications à apporter à la « loi Travail ». On y parle aussi de l'immigration, des réfugiés, du terrorisme, de la sécurité sociale et d'autres questions comme le capitalisme financier ou encore la démocratie directe. Les organisateurs ont déclaré que même le retrait de la « loi Travail » ne mettrait pas fin au mouvement.

Troisièmement, Nuit debout est une campagne de réaction à la crise économique et sociale française qui se poursuit depuis des années, et une expression de l'indignation et de la déception de l'opinion publique envers l'inaction des gouvernants. Les participants estiment qu'aucun parti politique traditionnel ne peut représenter leurs idées et leurs aspirations, et ils s'opposent au système de libéralisme capitaliste. Ce mouvement de masse spontané fait écho à l'apparition graduelle d'une nouvelle génération au sein du Parti socialiste actuellement au pouvoir et dans les partis d'opposition, qui défie l'autorité du courant dominant et tente de changer le mode de pensée traditionnel, au-delà des clivages entre la gauche et la droite. Ils recherchent de nouvelles idées pour résoudre les problèmes urgents auxquels la France est confrontée. Dans cette perspective, le mouvement Nuit debout est susceptible de servir de base à une nouvelle grande évolution politique en France.

(Traduction d'un article en chinois rédigé par Shen Xiaoquan, maître de recherche au Centre de recherche sur les problématiques mondiales de l'agence de presse Xinhua.)

Source: french.china.org.cn

 
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En septembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street a suscité l'attention du monde entier. Quatre ans et demi plus tard, c'est au tour des Français réunis sur la place de la République à Paris pour la campagne Nuit debout d'attirer l'attention des médias internationaux, qui parlent déjà d'une version française du mouvement né à New York. Toutefois, Nuit debout est une campagne distinctement française.

Certains commentateurs estiment qu'en France, qui traverse depuis plusieurs années une crise économique et sociale, ce mouvement populaire pourrait être un prélude à un changement du paysage social et politique.

Une cause directe de la formation du mouvement a été l'annonce de la « loi Travail » par le gouvernement, qui a provoqué de vives protestations dans la société. En France, les limites du droit du travail actuel découragent les entreprises de créer des emplois, et la compétitivité des entreprises françaises est en déclin. En février 2016, le gouvernement a présenté un projet de loi pour modifier le droit du travail. La « loi Travail », considérée comme plus favorable aux entreprises qu'aux employés, a immédiatement rencontré une forte opposition des principaux syndicats. Les appels à la grève lancés par les syndicats se sont rapidement propagés dans l'ensemble du pays, en exigeant du gouvernement le retrait du projet de loi pour protéger les intérêts de la majorité des travailleurs. Les groupes étudiants, qui ont fortement ressenti la menace potentielle de la nouvelle loi, ont rapidement rejoint les rangs des protestataires. Le 31 mars, à l'appel des syndicats, une mobilisation nationale de grande ampleur s'est traduite par de nombreuses manifestations.

Un mouvement fortuit

Le mouvement protestataire en appelle à une « convergence des luttes », pour continuer à faire pression sur le gouvernement. Ainsi, après la journée de manifestations du 31 mars, certains ont appelé à rester mobilisés, et plusieurs milliers de personnes ont répondu à l'appel. Plutôt que de rentrer chez eux, ils ont occupé la place de la République dans l'est de Paris, et le mouvement Nuit debout était né. Cette nuit-là, les gens sont restés assis au sol sur la place, menant des débats sur les amendements de la « loi Travail ». Malgré les opinions différentes, l'ambiance est restée chaleureuse et ordonnée. Depuis, les débats se poursuivent et se tiennent tous les soirs.

La demande préalable au rassemblement faite par Nuit debout a été approuvée par la police, permettant au groupe de mener ses débats et activités sur la place de la République le soir à partir de 19 heures jusqu'à 1 heure le lendemain matin. Plusieurs milliers de personnes sont venues y participer. De nombreux participants sont de jeunes étudiants, porteurs d'idéaux politiques.

Les organisateurs ont également mis en place un organisme spécial pour traiter des questions liées au mouvement et pour élaborer des règles de conduite. Sur le site web de Nuit debout, tous les soirs, les organisateurs annoncent les thèmes à débattre. Les discussions sont présidées par un responsable, ceux qui veulent s'exprimer en font la demande au préalable et le temps de parole est limité. L'auditoire peut réagir aux propos en faisant un geste de la main. Les cris ne sont pas autorisés, dans le respect de l'esprit de Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Depuis le 31 mars, les débats de Nuit debout à Paris attirent de nombreux participants, en particulier parmi les jeunes. Quelques étrangers sont aussi venus participer aux discussions sur la place de la République. Le mouvement s'est bientôt répandu dans d'autres régions de France : plus de 60 villes ont organisé des débats Nuit debout, ainsi que certaines villes de Belgique et d'autres pays. Le mouvement est en passe de devenir une grande campagne.

Le mouvement a globalement recueilli le soutien du monde politique. Le président François Hollande a déclaré dans une interview télévisée qu'il s'agissait d'un espace d'expression des citoyens. Un secrétaire d'État s'est rendu sur la place de la République le 12 avril et a écouté attentivement les demandes des participants. Le premier secrétaire du Parti socialiste français Jean-Christophe Cambadélis a salué « le printemps de la repolitisation » de la société française, même s'il a estimé que le mouvement « est plus Hyde Park que la Puerta del Sol dans le moment présent ». Certains commentateurs ont affirmé qu'il s'agissait de la plus active manifestation citoyenne en France depuis mai 1968.

Le résultat inévitable d'une longue crise sociale

L'opinion publique est d'avis que le mouvement Nuit debout résulte inévitablement en France de la longue accumulation des points de crise sociale. Sa signification est extraordinaire, sous trois grands aspects.

Tout d'abord, les protestations se sont muées en débats, ce qui amorce un changement de l'expression de la communauté. Les Français ont l'habitude d'exprimer leurs revendications politiques par des manifestations dans les rues. Ces manifestations réunissent un grand nombre de personnes, mais les protestations ne sont pas comprises à un niveau plus profond que celui des slogans criés par la foule. Certains délinquants profitent en outre de ces événements pour semer le trouble. Les manifestations perdent leur élan en quelques jours, et disparaissent. Ce qui caractérise Nuit debout est que les gens se sont spontanément réunis pour participer librement à des débats et à une réflexion, afin de trouver des réponses aux problèmes. Le mouvement populaire laisse place à la pensée rationnelle. Par conséquent, sa signification et son impact sont plus profonds et plus durables.

Deuxièmement, par des débats généralisés et profonds, les gens s'interrogent sur le système politique existant et sur l'avenir du pays. Le mouvement a d'abord séduit les jeunes et les étudiants, puis les ouvriers, les agriculteurs et les retraités. Le contenu des discussions va bien au-delà du droit du travail et des modifications à apporter à la « loi Travail ». On y parle aussi de l'immigration, des réfugiés, du terrorisme, de la sécurité sociale et d'autres questions comme le capitalisme financier ou encore la démocratie directe. Les organisateurs ont déclaré que même le retrait de la « loi Travail » ne mettrait pas fin au mouvement.

Troisièmement, Nuit debout est une campagne de réaction à la crise économique et sociale française qui se poursuit depuis des années, et une expression de l'indignation et de la déception de l'opinion publique envers l'inaction des gouvernants. Les participants estiment qu'aucun parti politique traditionnel ne peut représenter leurs idées et leurs aspirations, et ils s'opposent au système de libéralisme capitaliste. Ce mouvement de masse spontané fait écho à l'apparition graduelle d'une nouvelle génération au sein du Parti socialiste actuellement au pouvoir et dans les partis d'opposition, qui défie l'autorité du courant dominant et tente de changer le mode de pensée traditionnel, au-delà des clivages entre la gauche et la droite. Ils recherchent de nouvelles idées pour résoudre les problèmes urgents auxquels la France est confrontée. Dans cette perspective, le mouvement Nuit debout est susceptible de servir de base à une nouvelle grande évolution politique en France.

(Traduction d'un article en chinois rédigé par Shen Xiaoquan, maître de recherche au Centre de recherche sur les problématiques mondiales de l'agence de presse Xinhua.)

Source: french.china.org.cn

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